Succès pour l’évènement public du 12 mars 2024 Théâtre Ropartz de Vannes

Retour sur la rencontre spectacle « Climat, Agriculture, Alimentation, Ecologie : Quelles transitions pour protéger le vivant, les agriculteurs et les consommateurs ? »

Une conférence spectacle qui marquera les esprits pour longtemps

La conférence spectacle organisée par Clim’actions  le 12 mars 2024 a été un véritable succès : un théâtre plein avec 300 participants pour la conférence et pour le spectacle, des messages enthousiastes les jours suivants par mails et sur les réseaux et la sensation partagée d’avoir vécu ensemble des moments émotionnels et intellectuels forts. La formule « conférence-spectacle » aura été une expérience mémorable marquant sans doute les esprits des participants pour longtemps.

Clim’actions a invité trois plumes engagées pour le climat : Joël Labbé, l’Utopie et la vie, Acte Sud, Fabrice NicolinoLe grand sabotage climatique, Les liens qui libèrent et Nicolas Legendre Silence dans les champs, Arthaud.

Cette rencontre était animée par Philippe Dupont, administrateur de Clim’actions.

Le principe de base de cette soirée était de donner la possibilité à chacun de mieux s’informer, de mieux échanger autour de cette question de La Transition Sociétale que nous devons opérer, en prenant en compte toutes ses dimensions (d’où l’idée de parler des transitions). Même si nous devons y aborder des éléments de constats pessimistes, nous souhaitons que cette soirée soit avant tout tournée vers des solutions positives, pour que les participants repartent avec une bonne énergie sur ce sujet. Cette posture est l’ADN de Clim’actions…

Trois intervenants, trois clefs d’entrée :

Nicolas Legendre s’est centré sur l’analyse d’une situation régionale, sur la base d’une enquête détaillée de tout le système agricole et agroalimentaire breton, sans oublier ses connections avec le monde financier, voire politique, les témoignages étant des éléments essentiels de son diagnostic. Son ouvrage illustre bien le système économique en place et la dépendance extrême des agriculteurs vis-à-vis des coopératives et des engagements financiers, sans solution pour en sortir, sauf pour les plus audacieux.

Fabrice Nicolino, personne très engagée (« Nous voulons des coquelicots ») a mené une enquête à un niveau international, pour en déduire que dans les plus importantes instances onusiennes ou non gouvernementales, les grandes industries ont usé de leur pouvoir et de leur savoir-faire pour infiltrer les politiques environnementales et au bout du compte faire en sorte que les choses n’avancent pas alors que le diagnostic était posé depuis longtemps. Son ouvrage donne donc une dimension supplémentaire, avec une vision plus internationale, illustrant que le système global de gouvernance ne réussit pas à prendre suffisamment d’indépendance vis-à-vis des lobbys économiques les plus puissants.

Joël Labbé, au-delà de son engagement personnel au niveau local et de ses convictions, apporte un éclairage très intéressant sur la méthode pour la mise en place d’une politique publique ambitieuse, ne suscitant pas au départ l’adhésion de la majorité et bousculant des habitudes a priori inamovibles. L’auteur explique très bien comment il a pu mettre en avant des éléments scientifiques essentiels et surtout composer avec la pluralité des couleurs politiques pour aller vers une loi de compromis permettant d’avancer d’un cran important sur le très important sujet des pesticides. C’est de ce point de vue une belle leçon de politique.

Le quart d’heure scientifique

Lors de cette rencontre, un éclairage était apporté par Pierre-François Staub, chargé de mission « Pollution des écosystèmes et métrologie » à l’Office Français de la Biodiversité (OFB) : ce témoignage argumenté et chiffré, sur la base de l’exploitation de longues séries de données de qualité des eaux (dans le cadre de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau),  a permis de comprendre comment les cours d’eau ont bénéficié des politiques de réduction des pesticides urbains. Il est ainsi clairement démontré sur la loi Labbé a une conséquence directe et forte sur l’amélioration de la santé de nos rivières et donc sur la biodiversité en ville.

Des éléments de contexte évoqués pendant la rencontre par les intervenants :

Une formulation clef proposée par Nicolas Legendre porte sur le fait, qu’en matière agricole, nous avons développé une économie de flux (ventes et achats d’intrants, de pesticides, de matériel sophistiqué, prêts bancaires…) alors qu’il vaudrait mieux travailler sur une économie basée sur la sauvegarde de notre patrimoine commun qu’est le sol, moins génératrice de flux financiers mais beaucoup plus durable, car sauvegardant notre capital naturel. Le capital sol est entrain de partir sous l’effet de l’agriculture industrielle…

Les pollutions par les pesticides, tout en rappelant les enjeux économiques liés, touchent tout autant des questions environnementales (impact sur l’érosion de la biodiversité), que l’enjeu primordial de la santé humaine (pollution de l’air, de l’eau…)

Sur la question de la gouvernance et de la capacité d’initiative des agriculteurs, beaucoup d’entre eux ne sont plus vraiment des entrepreneurs libres de leurs mouvements mais beaucoup plus pilotés par les objectifs des coopératives qui ont souvent détourné la logique vertueuse de départ de ce type de structure.

L’agriculture dite conventionnelle est certainement plus facile à mettre en place qu’une approche plus basée sur les principes de l’agroécologie, beaucoup plus complexe techniquement, car devant prendre en compte la complexité du vivant, avec donc à la clef des questions d’ambition politique, de formation, d’évolution de fond pour les organismes professionnels etc.

Le contexte très global croisant Environnement : agriculture et rémunération des agriculteurs – Alimentation – Santé, est donc un sujet de société majeur, potentiellement passionnant et dont on peut sortir par le haut sans opposer les enjeux, mais sous réserve d’accepter de revoir le système sous ses diverses composantes et avec un portage politique fort.

Des initiatives inspirantes sur notre territoire :

Cette soirée était aussi l’occasion de donner des exemples concrets d’initiatives inspirantes ou démontrant qu’il n’y a pas de fatalité. Les intervenants nous ont donné des exemples concrets. Des personnes étaient dans la salle afin de témoigner (Jean René Doré Biogolfe, Marie Laurence Gautier Neo 56, Sarah Sellin de la Coop des Vénètes …)

• Sur la transition agroécologique : le dernier numéro de la revue du PNR du Golfe du Morbihan est consacré à l’agroécologie avec des témoignages d’origines diverses.

Sur le bassin versant du Golfe du Morbihan et dans le cadre des contrats de bassin versant pour l’eau, des agriculteurs se sont engagés sur différents enjeux : bocages et haies, réduction des pollution azotés…

Les magasins Biocoop de Vannes,  se sont engagés dans une logique de marketing autour des fruits et légumes « moches » : bon levier pour lutter contre le gaspillage alimentaire et pour permettre aux producteurs de mieux s’y retrouver financièrement, outre la qualité nutritionnelle de ces fruits et légumes.

Sur l’évolution des pratiques agricoles et les conditions de leur développement, devraient être mises en avant des expériences montrant toute la plus-value pour les agriculteurs de s’organiser en réseau au niveau territorial, pour échanger sur les pratiques et les retours d’expériences, tester de nouveaux matériels (pas nécessairement high tech…).

Sur l’accès à une alimentation de qualité, les Projets Alimentaires Territoriaux peuvent, par exemple, via les restaurations collectives, booster la production de bio sur leurs territoires.

• Il ne faut pas négliger non plus l’importance des politiques publiques qui peuvent émerger grâce à un terreau, des élus à la pointe, des expériences locales…, y compris aboutissant à des mesures réglementaires qui ont aussi leur place.

Un spectacle sensible et magique en clôture de la soirée

Le spectacle « Mon père avait trois vaches » de la compagnie Mouton Major a touché les participants.

Yves-Marie Le Texier est fils d’agriculteur du Centre Bretagne. Il a grandi dans une ferme au rythme des récoltes et du prix du lait. En fouillant dans ses souvenirs, le comédien pose le point de départ d’une réflexion sur l’évolution du monde agricole breton : ruralité, mal-être paysan, environnement… Cinq avatars d’Yves-Marie se sont présentés à nous comme autant d’agriculteurs, aussi différents les uns des autres.

Si Yves-Marie avait repris l’exploitation familiale, lequel serait-il devenu ? Un propos d’actualité traité avec humour poésie et sensibilité. Nous avons adoré ce spectacle !

Le succès de cette soirée et la forte participation nous a conforté dans l’idée que ces sujets tiennent une très grande place dans une large partie de la population, avec une véritable volonté d’aller de l’avant, sur la base de propositions concrètes, sans mésestimer, bien au contraire, les difficultés des agriculteurs.

En écho à cet évènement, nous sommes particulièrement attentifs à la préparation par le gouvernement du projet de « Loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture». Le titre actuel de la loi identifie des enjeux essentiels. Le renouvellement des générations en agriculture nous semble en effet un objectif prioritaire, sous réserve que ce soit au profit de nouveaux entrants issus ou non du monde agricole, l’agrandissement permanent de certaines exploitations montrant ses limites sur les plan social et environnemental. Le principe de souveraineté alimentaire nous parait par ailleurs être globalement un objectif souhaitable, sous réserve que cette priorité ne prenne pas le dessus par rapport à d’autres enjeux tout aussi importants.

Il nous semble cependant que les propositions actuelles ne mettent pas assez l’accent sur le fait que l’agriculture est à la croisée des chemins d’enjeux majeurs, à savoir, l’alimentation, la santé, la biodiversité, la lutte contre le changement climatique et les paysages et que, de ce point de vue, c’est une activité économique majeure qui peut être porteuse d’un réel projet sociétal enthousiasmant. A rebours de certaines prises de position assez binaires opposant par exemple environnement et agriculture, la France ne devrait elle pas s’engager dans un projet qui porte cette ambition très transversale ?

Dans la pratique et au regard des sujets que notre association porte sur les questions climatiques, comme de nombreux autres acteurs, voici des pistes de réflexions :

Le sol est un compartiment essentiel à mettre en avant pour la transition climatique : son potentiel de captation de carbone est énorme, sous réserve que les pratiques agricoles favorisent cette fonction qui va de pair avec un sol riche en biodiversité. Au même titre que l’air et l’eau, le sol doit être considéré comme un patrimoine commun à protéger, voire à restaurer. Les pratiques à haut niveau d’intrants et le signal récemment donné sur l’usage des pesticides vont à l’encontre de cet enjeu stratégique, en gardant aussi à l’esprit les questions sanitaires tant pour l’ensemble de la population que pour les agriculteurs eux-mêmes.

Ce que l’on appelle les infrastructures agroécologiques, comme les arbres, les haies, les prairies naturelles ou les zones humides, sont des alliées de l’agriculture, de la biodiversité et de la lutte contre le changement climatique. Il a clairement été démontré que les interactions entre les sols cultivés et ces infrastructures étaient positives, par exemple pour la protection contre les ravageurs des cultures. Ces infrastructures favorisent la préservation de la ressource en eau qui se raréfie avec le changement climatique, contribuent aussi à la captation du carbone, aident à lutter contre l’érosion du sol et contribuent largement à la régulation de la température, pour les hommes comme pour la flore et la faune. Les récentes mesures de simplification de la règlementation adoptées soit par le niveau européen, soit au plan national vont à l’encontre de la protection de ces infrastructures, déjà largement impactées.

La diversification des paysages et des espèces cultivés vont dans le sens d’une préservation de la biodiversité mais aussi et surtout d’une plus grande résilience face à des extrêmes climatiques de plus en plus fréquents. Favoriser une agriculture productiviste, sur la base des pratiques actuelles dites conventionnelles, va à l’encontre de cette stratégie d’adaptation au changement climatique.

Sur ces bases et rejoignant d’autres prises de position d’experts de la question, il nous semble que cette loi devrait de toute évidence promouvoir le développement de l’agroécologie. Cette approche mise en avant par le Ministère en charge de l’Agriculture il y a quelques années, largement étudiée par les organismes de recherche et mise en œuvre concrètement dans certains autres pays ou par des agriculteurs français innovants répond par essence aux enjeux cités précédemment. S’appuyant sur les fonctionnalités offertes par les écosystèmes, elle les amplifie tout en visant à diminuer les pressions sur l’environnement et à préserver les ressources naturelles. Il s’agit d’utiliser au maximum la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement. Cette approche systémique permet de maintenir des résultats techniques et économiques tout en améliorant les performances environnementales.

Le sujet, comme bien d’autres aujourd’hui, est complexe et nécessite le développement d’une technicité élevée à développer dès la formation des agriculteurs, au sein des organismes techniques, des coopératives, mais aussi dans les autres sphères de la société, tant ce sujet est d’intérêt collectif et tant la question de l’avenir de l’agriculture ne doit pas être traitée que par le monde agricole. Les aspects économiques ne doivent bien évidemment pas être négligés, tant du côté des agriculteurs que des consommateurs, mais là encore, il nous semble que des retours d’expériences nous montrent qu’une telle approche est possible, avec au centre du projet, une volonté de concertation entre les parties prenantes, une logique de coopération, au sens profond du terme. Sur ce thème, des expériences récentes nous montrent à quel point des groupes d’agriculteurs ont pu évoluer vers de nouveaux systèmes plus résilients et viables économiquement en partageant leurs expériences.

Nous avons de fortes interrogations face à des décisions et une future législation qui, sur certains sujets, nous semblent à l’encontre de ce qui est prôné par les experts et une large partie de la société en matière de transition climatique et écologique. Alors même que le monde agricole pourrait être un acteur majeur de ces transitions.

Rédacteur : Philippe Dupont, administrateur de Clim’actions Bretagne