Pour une écologie populaire émancipatrice et source d’emplois : Quels rôles et moyens pour les associations, entreprises de l’ESS et acteurs publics de proximité agissant dans les quartiers populaires ?
Le 22 novembre, 70 personnes ont participé à la rencontre organisée par Clim’actions Bretagne
dans le cadre du mois de l’ESS.
Les associations de tous domaines d’activité, entreprises de l’ESS et acteurs publics de proximité agissant dans les quartiers populaires, sont aussi des lieux de dialogue et d’appropriation d’une transition écologique qui s’appuie sur l’expérience des citoyen/nes et peut contribuer au développement économique local. Clim’Actions Bretagne, qui mène une recherche-action « Précarité & Climat » avec l’université de Brest et le soutien de la Région Bretagne, questionne les croisements entre transition écologique et développement économique dans les quartiers.
Écologie et classes populaires – distance idéologique, proximité pratique
Bénédicte Havard Duclos, sociologue de l’Université de Brest a présenté un état des lieux des travaux en sciences sociales interpellant sur les classes populaires, leur proximité pratique à l’écologie mais aussi leur distance aux récits écologiques dominants.
Situées au bas de l’échelle des revenus, vivant pour partie dans des quartiers dits prioritaires de la ville mais pas exclusivement, les classes populaires subissent souvent une triple peine : une plus grande exposition aux nuisances et à un environnement dégradé, une plus faible contribution aux désastres environnementaux (les 50% les plus pauvres ne sont responsables que de 10% des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, et en France, les 50% les plus pauvres émettent 3,8 tonnes de CO2 par an pour leur consommation, hors émissions « collectives » liées aux administrations) et une pression plus forte à adopter les “bonnes pratiques” écologiques que pour le reste de la population.
Les manières d’être, de faire et de penser parmi les classes populaires traduisent un goût pour le concret (un mode de vie économe déjà fortement contraint et difficilement modifiable, une conscience de sa faible responsabilité), pour le raisonnable et le bon sens (sobriété de fait), et une recherche de respectabilité et de dignité.
Avec un fort intérêt pour l’environnement immédiat, les classes populaires peuvent se sentir moins intéressées par les questions plus abstraites du climat, peu concernées voire exclues des discours dominants quand ils privilégient des solutions techniques et purement individuelles aux problèmes écologiques. Une certaine distance peut ainsi se faire jour à l’égard d’une écologie bourgeoise qui a tendance à diluer les responsabilités du système dans une culpabilisation de masse. Des pratiques situées en haut de l’échelle sociale (tris des déchets, circulation en vélo, alimentation biologique et locale, écogestes…) sont d’autant plus tenues à distance qu’elles se doublent parfois d’un mépris de classe voire de snobisme par ceux et celles qui les pratiquent, tout en continuant de prendre l’avion sans complexe pour des voyages à l’autre bout du monde, d’habiter des grands logements voire des résidences secondaires etc..
Plus que les économies d’énergie ou les réhabilitations de logements pas toujours bien perçues dans les quartiers d’habitat social, c’est ainsi une écologie du quotidien qui mobilise : l’alimentation, l’accès à une nature de proximité, la réduction des déchets… en lien avec l’avenir des enfants, la solidarité, le besoin de se sentir en relation avec les autres mais aussi chez soi, reconnu dans sa dignité et son autonomie.
L’enjeu d’une transition écologique partagée n’est donc pas de sensibiliser et encore moins d’éduquer les classes populaires mais de faire alliance. Des échanges avec la salle est également ressortie la nécessité de mieux reconnaître les représentations et croyances de chacun, l’importance de faire plutôt que d’en parler, avec un appel à cesser un discours de « responsabilisation » qui désigne toujours les mêmes publics à qui les efforts sont demandés.
Table ronde : Outils et méthodes pour amplifier la transition écologique dans les quartiers populaires
Une première table ronde animée par Christophe Vernier de Clim’actions a mis en avant des actions concrètes d’acteurs locaux qui contribuent à la transition écologique dans des quartiers populaires de Vannes.
Orégane Plailly de Clim’actions Bretagne a présenté les ateliers menés dans les quartiers de Kercado et de Ménimur dans le cadre de la recherche-action participative « Précarité & Climat ». Ces ateliers, pensés dans un premier temps pour sensibiliser les habitants, ont été réorientés pour recueillir les représentations, pratiques, envies et freins vis-à-vis de la transition écologique. Centrés sur l’écoute et le faire ensemble, appuyés par une facilitation graphique et des outils d’éducation populaire, ces rencontres ont permis de collecter une parole concrète sur les thèmes du logement, de l’énergie, de la consommation, de la mobilité et de l’alimentation. Clim’actions qui a perçu le besoin de créer toujours plus de liens et de faire circuler la parole autour de ces thèmes, est prête à poursuivre la démarche avec de nouveaux outils, comme la Fresque des Possibles créée par l’association Le Lieu Dit, qu’elle a expérimentée avec l’entreprise d’insertion Néo56 à la ferme maraîchère Rebom de Sarzeau.
Dominique Coulot, habitante de Ménimur depuis 15 ans et ayant participé à ces ateliers, a décrit son quartier, riche de mixité sociale et culturelle, avec de nombreuses associations de quartiers soutenues par la municipalité et le bailleur social. Sa participation aux ateliers, motivée par le besoin de partager et une certaine colère sur le monde qu’elle laisse à ses enfants , lui a permis de mieux réaliser ce qu’elle faisait déjà au travers du regard des autres. Les actions individuelles sont nombreuses mais doivent être mieux accompagnées pour changer d’échelle, par exemple pour le tri des déchets ou le vélo du quotidien, dont la pratique s’avère beaucoup plus compliquée quand on habite au 4ième étage sans ascenseur. Faire progresser le quartier en matière d’écologie passe aussi par la bienveillance, l’entraide et l’échange de services entre habitants qui sont des valeurs essentielles.
Loic Turpin, animateur technique des Compagnons Bâtisseurs de Vannes a expliqué le fonctionnement du Repair Café installé à Ménimur depuis 3 ans. Si le projet a pris du temps à démarrer, il se développe aujourd’hui en alternance sur 2 sites avec les centres sociaux de Ménimur et de Kercado. Un public plus âgé, avec une culture de conservation et de réparation des objets, apprécie les temps de rencontre, alors que les plus jeunes ont tendance à acheter et jeter plus facilement. Mais l’activité principale des Compagnons Bâtisseurs consiste surtout à accompagner les habitants en situation de précarité physique, sociale ou financière pour l’amélioration de leur habitat. Elle le fait en milieu rural pour des réparations d’urgence ou chantiers solidaires, et dans les quartiers prioritaires. Après diagnostic, un brico-bus permet par exemple de refaire les peintures avec des produits bio-sourcés, ou d’améliorer la ventilation avec un co-bénéfice pour la santé et l’environnement. La priorité est d’améliorer la communication et de réussir à toucher des gens souvent isolés.
Jacques Cardot, président des Cuisiniers Solidaires qui lutte contre le gaspillage alimentaire a présenté les 3 piliers de l’association : la récupération de fruits et légumes bio auprès de producteurs ou de commerce type Biocoop, qui sont ensuite cuisinés avec les habitants et destinés à l’aide alimentaire ; la méthode d’éducation populaire du aller-vers et du faire avec (on met tous les produits sur la table et ce sont les habitants qui décident ce qu’ils vont en faire) ; la démarche de plaidoyer pour que tous puissent accéder à une alimentation saine et durable, ce qui suppose de rompre avec les excès d’une économie fondée uniquement sur l’offre. Les effets observés sont tangibles en termes de connaissances (sur les ustensiles, les techniques, les bases de la nutrition..), l’envie de cuisiner plutôt que d’acheter des produits transformés, et un moindre gaspillage. L’association s’implique également dans les réflexions autour du principe de sécurité sociale alimentaire (SSA) et plaide pour une meilleure coopération de tous les acteurs sur ces sujets.
Table ronde : Pouvoir d’agir des habitant.e.s et leviers économiques des activités en lien avec l’écologie
La deuxième table ronde portait sur le pouvoir d’agir des habitants et les leviers économiques des activités en lien avec l’écologie.
Erwan Ruty, auteur du livre « L’écologie peut-elle être populaire ? » a travaillé 25 ans en Seine-Saint-Denis pour des projets associatifs ou coopératifs renforçant le pouvoir d’agir collectif, avec notamment les conseils citoyens et l’accompagnement de porteurs de projets économiques dans les banlieues. L’écologie, concept de chercheurs et d’intellectuels, a touché historiquement un public instruit qui en a été le premier bénéficiaire, sans se préoccuper des personnes subissant la désindustrialisation. De ce décalage entre la pensée et la réalité est née une certaine défiance vis-à-vis de l’écologie au sein des classes populaires, ayant besoin de concret répondant à leurs situations de vie plus que d’adhésion à des valeurs.
La question est aujourd’hui de repenser la place du travail dans la transition écologique, en constatant que les élus ne disposent plus de base sociale solide pour y arriver. Quels nouveaux systèmes productifs imaginer demain, bénéfiques à la fois à l’environnement et répondant aux aspirations des personnes ? De nombreux exemples illustrent ce que pourrait être un nouveau « travaillisme écologique ». Beaucoup de gens sont sortis de leur isolement après des fermetures d’usines ou les « gilets jaunes » en créant leur propre activité sous forme collective autour de métiers de la transition : ateliers de bricolage, maraichage, garages solidaires, énergies renouvelables…La société ressemble aujourd’hui à celle du milieu 19eme siècle, avec un brouillement d’initiatives collectives, mais qui peine à faire système et nécessiterait une plus forte implication des pouvoirs publics, à travers une planification de ce type d’activités sur tout le territoire. La force des quartiers populaires est aussi la culture de l’entraide et une réelle dynamique d’entreprenariat local pour rendre la vie des gens plus simple et qu’il faut encourager.
A noter la constitution récente de l’Alliance Écologique et Sociale qui réunit des syndicats et ONG environnementales pour dépasser la fausse opposition entre préservation de la planète et création d’emplois, par des propositions concrètes.
Laura Conan, co-directrice d’AcSoMur, entreprise à but d’emploi créée à Ménimur en 2022 dans le cadre du dispositif Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD). L’objectif est de montrer qu’on peut éradiquer le chômage de longue durée en réaffectant les coûts de la privation d’emploi à la création d’emplois à partir des constats suivants : personne n’est inemployable, ce n’est pas le travail qui manque au vu des besoins non pourvus et ce n’est pas l’argent qui manque au vu des coûts pour la collectivité de la privation durable d’emploi. Une loi d’expérimentation de 2016 a habilité 10 territoires, élargis en 2021 à 50 nouveaux territoires pour 5 ans. L’entreprise perçoit une contribution au développement de l’emploi versée par l’Etat et le Département, les salariés ne perçoivent plus d’aides mais un salaire, retrouvent un statut, consomment et cotisent, ce qui crée un nouvel équilibre.
AcSoMur (Activités Solidarités Ménimur) emploie aujourd’hui 47 salariés en CDI à temps choisi, en grande partie sur des activités de transition : recyclage bois, carton, couture à partir de matériaux recyclés, réparation vélo, réemploi informatique, ressourcerie du mobilier avec le bailleur social, boutique solidaire de vêtements invendus, conciergerie de quartier, ateliers prévention santé, mobilité solidaire… Le projet est né d’une initiative citoyenne via l’association Nov’ita, avec un long travail de porte-à-porte pour repérer les personnes, les besoins du quartier et les envies.
Aujourd’hui, les bénéfices sont multiples : humains (meilleur niveau de vie, épanouissement, confiance, apaisement), pour le quartier (accessibilité des produits, développement économique, vie sociale, dynamique partenariale entre acteurs) et écologique (réemploi, réduction des déchets, changement des modes de consommation, de transport…). On observe aussi une modification du rapport des salariés à l’écologie, fiers de contribuer à la transition, mais il y a encore des résistances. AcSoMur envisage d’ailleurs de travailler avec Clim’actions pour améliorer ses pratiques.Des nouveaux savoirs et métiers liés à la transition sont en train de naître, par exemple autour du réemploi et du reconditionnement, mais qui nécessitent de la formation, du temps, des locaux et un modèle économique pérenne.